La réalité virtuelle au service de l'insertion professionnelle des jeunes «invisibles»
Dans les Hauts-de-France, pour lutter contre la précarité et l'isolement des jeunes, la fondation Apprentis d'Auteuil va à leur rencontre dans les quartiers prioritaires. Le but: leur ouvrir les portes du monde professionnel.
À Amiens (France)
«Dès que tu as enfilé les gants et les bottes, tu peux t'emparer du fer à souder sur ta gauche.» Brenda, 18 ans, s'exécute, casque de réalité virtuelle rivé sur la tête et manettes en mains. Pendant une dizaine de minutes, la jeune femme, élève en 1ère Métiers de la mode et du vêtement, se glisse dans la peau d'une ouvrière soudeuse. Elle mime les gestes effectués au quotidien par les professionnels du secteur: «C'est fou, j'avais vraiment l'impression d'être en train de souder, c'est très bien fait», s'étonne Brenda. Quelques mètres plus loin, un autre jeune s'essaie à la logistique et doit transporter des charges lourdes (virtuellement).
Début avril, une petite dizaine d'associations se sont réuniee à Amiens, au sein du gymnase Emile Moiroud, dans le secteur Ouest, pour proposer aux habitants de ce quartier prioritaire de la ville des temps d'échanges et de rencontres. Une vingtaine de jeunes comme Brenda ont ainsi pu tester Potenti'elles, le nouveau dispositif d'aide à l'insertion professionnelle de la fondation Apprentis d'Auteuil. Reconnue d'utilité publique depuis 1929, cette dernière soutient les enfants, les adolescents et les jeunes adultes en difficulté à travers des programmes d'accueil, d'éducation, de formation et d'insertion.
Dans les Hauts-de-France, pour faire face à la précarité et l'isolement des jeunes et faciliter leur insertion professionnelle, Apprentis d'Auteuil a créé, en 2021, un dispositif innovant en partie soutenu par le Fonds social européen: le programme Potenti'elles.
L'objectif: partir à la rencontre des jeunes habitants des quartiers prioritaires, et particulièrement des jeunes femmes de 16 à 30 ans à la recherche d'informations sur leur avenir professionnel, afin de les accompagner dans leur projet.
Les femmes au centre du projet
Selon la fondation, les jeunes de ces quartiers-là sont deux fois plus touchés par le chômage que ceux des quartiers environnants: «On a constaté que, dans les quartiers prioritaires de la ville, les jeunes ne poussent pas les portes de notre institution, même si on est situé près de chez eux. Car il faut déjà avoir un minimum de confiance en soi pour franchir le pas», explique Julie Millien, cheffe du projet Potenti'elles.
C'est pour cela que le projet «a été réfléchi pour aller directement vers ces jeunes que l'on ne voit pas. Et non pas que ce soient les jeunes qui aillent vers [la] structure», poursuit-elle. Les femmes bénéficient par ailleurs, dans ce programme, d'une «attention particulière», car, «dans ces quartiers, elles sont particulièrement touchées par les inégalités socioprofessionnelles». «Les femmes y sont globalement moins diplômées et ont moins d'accès à l'insertion. Cela s'explique aussi par le fait d'avoir des enfants tôt et d'être ainsi plus facilement isolées que les hommes», estime la cheffe du projet.
En lien direct avec les associations de quartier d'Amiens, d'Abbeville (Somme), de Creil (Oise) et de Soissons (Aisne), l'équipe de Potenti'elles se déplace dans la région à la demande de celles-ci, lorsque des jeunes en difficulté d'orientation professionnelle ont été repérés.
L'équipe, composée au total de six conseillères en insertion, embarque avec elle des casques de réalité virtuelle et des tablettes afin de faciliter le dialogue: «Ces outils numériques, du fait que ce soit ludique, nous permettent de rentrer rapidement en lien avec les jeunes, affirme Julie Millien. La parole se libère ensuite beaucoup plus que s'ils étaient en entretien face à un conseiller derrière un bureau.»
En finir avec les stéréotypes de genre
L'équipe leur fait alors tester, grâce à la réalité virtuelle, différents métiers de secteurs en tension, pour lesquels il y a une demande de recrutement dans la région: la soudure, la logistique, ou encore la menuiserie. «Dans nos expériences immersives en réalité virtuelle, ces trois métiers sont incarnés par des personnages féminins, pour montrer que l'accès à ces professions n'est pas réservé qu'aux hommes.»
Pour lutter davantage contre les stéréotypes de genre propres à certains milieux professionnels, l'équipe du projet a aussi développé un serious game «qui s'adresse, lui, plutôt aux parents, précise Julie Millier. Il met en scène une jeune femme qui veut s'orienter dans la logistique, mais qui appréhende de le dire à ses parents, à cause des représentations qu'ils peuvent avoir de ces métiers-là. Comme le fait de ne se retrouver qu'avec des collègues hommes, de porter des charges lourdes ou de subir des horaires de travail compliqués... Le but est donc de casser les stéréotypes persistants.»
À la fin du jeu, des témoignages de jeunes femmes évoluant dans des métiers dits «d'hommes» sont proposés pour informer sur la réalité actuelle et inciter «les familles à soutenir leurs enfants dans leurs choix d'orientation, quel que soit le métier».
Un accompagnement sur mesure
Une fois l'immersion virtuelle terminée, les jeunes peuvent s'inscrire gratuitement pour être accompagnés par la formation pendant quelques mois dans leurs démarches d'orientation professionnelle. Ils rentrent alors dans le dispositif Potenti'elles+. Il s'agit d'un accompagnement sur mesure, adapté aux besoins du jeune jusqu'à son entrée en apprentissage.
«Nos conseillers n'arrivent pas en face des jeunes avec un programme tout fait. Ils s'adaptent vraiment à leurs besoins, assure Benoît Mariage, directeur insertion formation aux Apprentis d'Auteuil. Par exemple, si un jeune a un niveau scolaire faible, il va être accompagné pour une remise à niveau. S'il manque de confiance en lui, on lui propose des ateliers de coaching. Et s'il a des problèmes de mobilité, on l'aide à passer son permis.»
Comme une trentaine d'autres jeunes de la région, Josuet, 18 ans, s'est inscrite au dispositif. La jeune femme, habitant Beauvais (Oise), a échoué aux épreuves du bac en 2021. Ne pouvant redoubler, elle se sentait «un peu perdue dans son orientation».
Accompagnée par une conseillère en insertion professionnelle du programme Potenti'elles+ depuis mars 2022, Josuet a redéfini son projet professionnel. Elle souhaite désormais poursuivre une formation pour travailler dans les aéroports comme agent d'escale.
«Chaque semaine, l'équipe de Potenti'elles m'appelle pour faire le point et discuter de l'avancée de mon projet, décrit la jeune femme. Elle m'aide à rester motivée et m'appuie dans mes démarches administratives, pour trouver un stage, puis intégrer une formation en alternance. Ensemble, on a déjà fait mon CV et ma conseillère m'accompagnera à mes entretiens d'embauche.»
Pour identifier encore plus de «jeunes invisibles», l'équipe de Potenti'elles a compte prochainement sillonner les routes des Hauts-de-France à bord d'un bus aux couleurs du projet. «L'idée est de s'arrêter dans plusieurs quartiers et villages, toujours dans cette optique de ne plus attendre les jeunes, mais d'aller les voir directement, relate Benoît Mariage. Car la mobilité reste le premier frein des jeunes de la région.»
Embarquée dans le bus, l'équipe de Potenti'elles espère ainsi gagner en visibilité et en popularité afin de promouvoir davantage l'alternance auprès de ces jeunes en décrochage. Et leur ouvrir la voie d'un avenir professionnel bien réel.