Méthanisation en Nouvelle-Aquitaine: le juste prix du biogaz
Discrètes et dispersées dans la région, les unités de méthanisation y fleurissent par dizaines. Mais s'il est acté que le biogaz a un rôle à jouer dans la transition écologique, sa place reste à délimiter dans le mix énergétique national.
À Saint-Antoine-de-Breuilh (France)
Flambant neuf, propre et sans odeur: l'unité CVE de Breuilh a l'apparence sophistiquée d'une bonne élève de la méthanisation. Inaugurée en mars dernier dans le petit village néo-aquitain de Saint-Antoine-de-Breuilh, la jeune usine fonctionne déjà à pleins gaz.
Marc de raisin, chutes de papier, graisses végétales: elle brasse dans son ventre les déchets organiques en provenance des industries agroalimentaires de la région, jusqu'à en extraire l'élixir du marché gazier, le biométhane. «Un gaz vert, une énergie locale», décrit Paul Escale, ingénieur de Cap vert énergie (CVE), chargé du développement du projet sur les huit dernières années, de retour sur site pour une visite de routine.
Cinq à dix fois moins émetteur que le gaz naturel (selon le dernier rapport du Sénat), le biométhane est l'un des vecteurs d'investissement majeur pour la transition énergétique en France. À l'échelle nationale, 80% des fonds européens de la période 2014-2021 ont été dédiés au réseau de chaleur et à la méthanisation dans le pays.
Enjeu de décarbonation, souveraineté énergétique française, mais aussi externalités positives des déchets organiques générés par les exploitations agricoles et les industries... Le secteur est largement subventionné pour toutes ces raisons en Nouvelle-Aquitaine.
Le casse-tête du FEDER
Pour financer son coût total de dix millions d'euros, l'unité CVE de Breuilh a pu bénéficier de nombreuses aides: à hauteur de 350.000 euros de la région, auxquels s'ajoutent 950.000 euros de l'Ademe, et 722.000 euros du FEDER (Fonds européen de développement régional).
Un financement facilité par le soutien de l'actionnaire minoritaire du projet, Engie Bioz: «Il y a huit ans, CVE était une toute petite structure, raconte Paul Escale. S'allier avec Engie a permis de rassurer certains financeurs, certainement de les convaincre que c'était viable.» Si cette unité de méthanisation fonctionne en unité industrielle dont Engie détient 49% de capital, la méthanisation demeure majoritairement agricole en Nouvelle-Aquitaine.
Mais le coût élevé des projets, la mauvaise coordination des organismes de subventions et les exigences énergétiques grandissantes complexifient l'enjeu de financement pour les agriculteurs.
L'économiste Pascal Grouiez a décortiqué ces difficultés dans son rapport d'étude Métha'Revenus: «L'accord d'un crédit des banques dépend du fonds propre, lui-même dépendant du montant des subventions régionales attribuées. La région joue donc un rôle important dans la sélection des projets», explique l'expert.
L'étude publiée en 2020 démontre que les projets gaziers en injection sont aussi les plus rentables, mais demeurent réservés aux grands groupes gaziers ou aux grands collectifs agricoles des céréaliers industriels. «L'injection nécessite un investissement très élevé. De tels montants sont difficilement supportables par des éleveurs à la situation financière souvent fragile», souligne le rapport.
Il conclut: «En l'absence de subventions publiques, il est probable que la méthanisation par injection ne deviendra accessible qu'aux agriculteurs les plus solides financièrement.»
Sur la période de 2014 à 2020, l'attribution de 27 milliards d'euros de subventions européennes et régionales ont permis l'émergence de trente-trois projets en Nouvelle-Aquitaine: un quart industriels, et trois quarts agricoles.
Julien Jimenez, le sous-directeur responsable de la solution énergétique au sein de la région Nouvelle-Aquitaine, décrit le processus de sélection: «Globalement, la rentabilité est plus faible sur le modèle agricole que sur l'industriel. Pour le projet à la ferme d'un seul agriculteur, on privilégie les fonds régionaux, car la mécanique européenne est un peu lourde pour un projet agricole. Mais dès qu'on est sur une mutualisation ou un projet d'énergéticien, on flèche avec les fonds européens.»
Pour son nouveau plan de financement européen pour la période 2021-2027, l'Europe ne souhaite plus financer les grands groupes. Une décision qui bouleverse la gestion régionale: «La transition énergétique représente des milliards d'euros d'investissement: c'est capitalistique. C'est compliqué de penser que ce sont les PME qui vont faire la transition énergétique: elles n'auront pas les moyens. Il nous faut absolument y intégrer ces grandes entreprises», insiste Jimenez.
Inverser la tendance
Le contexte énergétique actuel complexifie encore ces enjeux. La sortie de la période Covid et l'embargo sur le gaz russe avec la guerre en Ukraine ont créé un pic de demande énergétique. Pour Jimenez, la recherche de rentabilité et de compétitivité a été remplacée par un impératif: «Ne lâcher aucun type de méthanisation pour atteindre les 30% de biogaz dans le mix énergétique»; objectif 2030.
L'enjeu technique n'est pas à sous-estimer: «Le réseau de gaz a été construit en France par rapport à sa provenance russe. Il faut pouvoir inverser le réseau pour injecter du gaz d'un point de distribution à un autre. Permettre au gaz de circuler en sens inverse et l'exporter est un véritable enjeu de pouvoir», assure le spécialiste Pascal Grouiez.
L'expert soutient qu'il a du mal à croire en la substitution totale au gaz naturel par la méthanisation à l'échelle nationale ou européenne. Il explique que le scénario des 30% d'énergie renouvelable concentrée sur le biogaz nécessiterait de multiplier par 50 le nombre d'unités de méthanisation par rapport au chiffre actuel.
Un objectif impossible à l'horizon 2030. Et risqué: «C'est vrai qu'il y a toute une méthanisation qui va nous échapper. Il faudrait plus d'exigence envers les grands groupes qu'envers les agriculteurs», concède Jimenez.
Jeune méthaniseur cherche déchet organique
Car l'Europe craint aussi la multiplication des cultures énergétiques, c'est-à-dire l'exploitation du sol uniquement destinée à la production de déchets méthanogènes.
«C'est aussi un enjeu de choix agricole: veut-on occuper une si grande partie des sols en développant des cultures destinées à la méthanisation? Mauvaise idée, tant qu'on n’a pas trouvé la solution pour tenir le scénario des 30% sans tomber dans le modèle agricole industriel avec des énormes unités», soupire Pascale Grouiez.
À Saint-Antoine-de-Breuilh, l'entreprise utilise une partie de son propre biogaz pour répondre à ses besoins énergétiques, redistribue son gaz sur le réseau local, s'alimente grâce à des déchets repêchés dans les 60 kilomètres à la ronde.
Ce fonctionnement en circuit court pourrait être compromis par la multiplication du nombre de méthaniseurs prévue sur le territoire néo-aquitain d'ici à 2030, et l'émergence d'une nouvelle concurrence. Il faudra alors aller chercher ailleurs. Et ailleurs, c'est parfois déjà trop loin.