En Martinique, les fonds européens permettront-ils de rattraper économiquement la métropole?
Particulièrement touchée par la crise, la Martinique bénéficie d'aides créées pour contribuer à combler le retard économique, et spécialement dirigées en France vers les régions les moins développées.
En Martinique (France)
«Abandon», «pauvreté», «colère sociale», «coût de la vie»… Ces mots ne sont peut-être pas les premiers qui viennent à l'esprit quand on pense aux outre-mer, des destinations plutôt réputées pour leur soleil et leurs plages qui attirent les vacanciers. Mais la vie des populations locales, depuis longtemps déclassées dans toutes les catégories économiques et sociales –taux de chômage, coût de la vie, taux de pauvreté–, pâtit d'une grande différence par rapport à celle de la France métropolitaine. Toutes les crises qui touchent la France sont encore plus dévastatrices dans ces territoires éloignés.
Dans le cadre du plan de relance européen, la Martinique a pu profiter de l'une des plus grandes parts distribuées aux différentes régions françaises, avec plus de 500 euros par personne, contre une cinquantaine d'euros pour la région des Hauts-de-France par exemple. Ces aides sont censées répondre à la crise qui touche en ce moment les Antilles françaises, mais celle-ci est ancrée dans ces territoires depuis fort longtemps.
Des manifestations, mais une situation qui ne voit pas d'évolution
Novembre 2021: la grève générale éclate sur les îles de Guadeloupe et de Martinique. Parties d'un mouvement de contestation contre les mesures sanitaires de l'époque, les manifestations ont progressivement glissé vers une grogne contre le prix de la vie, le taux de chômage et, plus généralement, l'expression d'un sentiment d'abandon de la part du gouvernement français. Une situation déjà soulevée et critiquée lors de manifestations similaires en 2009, à la suite d'une autre crise économique.
Dans ces îles, on ne perçoit pas d'efforts de la part de la métropole pour changer la situation économique. Et les tensions entre ces territoires et le gouvernement, basé à plusieurs milliers de kilomètres de leurs problèmes, ne font qu'alimenter une colère et un antagonisme qui existent depuis bien longtemps avec ces territoires, derniers restes de l'époque coloniale.
La situation financière, assez hétérogène entre ces territoires et le reste de la métropole, pourrait être le levier à actionner par l'Union européenne pour aider à lisser ces différences. C'est ainsi que les fonds européens, sous la forme du Feder (Fonds européen de développement régional) et du FSE (Fonds social européen), veulent répondre à ces problèmes en aidant les Martiniquais dans la création d'entreprises et d'emplois, en particulier en soutenant les TPE-PME, l'éducation et la formation.
Mais ces aides sont-elles vraiment efficaces pour résoudre ces problèmes? Pour y voir plus clair, voici plusieurs d'exemples d'entreprises qui ont fait des demandes, abouties ou non.
Des fonds qui aident à se lancer
«Le bouche-à-oreille», c'est comme ça qu'Aymeric Vasson explique avoir entendu parler de ces aides européennes. L'aventure commence en 2018, quand son frère Frédéric et lui, des Ardennais présents sur l'île depuis vingt-trois et treize ans à l'époque, se lancent dans la création de la Petite Brasserie martiniquaise.
Pour créer le dossier de demandes de fonds, ils font alors appel à un cabinet spécialisé dans la création de ce genre de dossiers. «On nous les a conseillés et notre demande a mis à peu près un an et demi pour être acceptée. Les fonds ont alors servi à rembourser les emprunts contractés au lancement. Sans le cabinet, c'est sûr que ça aurait pris plus de temps. C'est difficile de garder le contact alors qu'on a un travail à côté», déclare Aymeric Vasson.
La problématique avait déjà été soulevée il y a quelques années par la sénatrice de la Martinique, Catherine Conconne, qui avait déclaré: «La consommation des fonds européens, chez nous, pose souvent problème parce que nos entreprises sont de petite taille. Il est compliqué pour elles de monter un dossier pour des fonds européens; elles manquent souvent de l'ingénierie pour le faire et leur trésorerie est insuffisante pour attendre le versement des aides.» Et de fait, certaines peuvent attendre longtemps le versement de ces fonds.
Des objectifs pas toujours atteints
Cachée entre les collines verdoyantes de la côte est de la Martinique, sur la route entre le François et le Vauclin, Holdex Environnement est un des leaders de la revalorisation des déchets verts en Martinique. Dernière innovation: une filière de compost de sargasse, une algue qui envahit les plages martiniquaises. Pour aider à la développer, l'entreprise va solliciter seule l'aide du Feder. Le dossier est déposé en 2018. Depuis, silence radio. «On n'a rien eu du tout pour le moment. On n'a pas reçu un euro.»
La base de données des bénéficiaires indique pourtant que l'entreprise est éligible à près de 24 millions d'euros de la part de l'Union européenne dans le cadre du Feder, et qu'elle en aurait même déjà reçu 6 millions.
Passé en séance plénière en 2021, ce centre de valorisation attend toujours son argent, ce qui empêche l'entreprise de mettre en place son développement depuis quatre ans, alors qu'elle était pourtant dans «une période charnière où [elle] av[ait] déjà commencé à [se] développer», se lamente Mike Bernus, fondateur de Holdex. «Mais ce manque est un grand frein.» «La plupart des entreprises martiniquaises ont besoin de cet argent pour rester compétitives, ajoute-t-il. Nous sommes dans un environnement ilien, à 6.000 kilomètres de la métropole, donc tout est plus cher et plus dur à se procurer.»
Ces aides sont presque indispensables pour certaines entreprises, comme celles qui importent des biens à destination des touristes. Elles doivent passer par le fret maritime et c'est d'ailleurs dans le remboursement de ces frais que va la majorité de ces fonds européens: une étude de la liste des bénéficiaires de ces fonds montre qu'environ 460 millions d'euros sur les 735 millions d'euros distribués pendant la période 2014-2020, ont été utilisés pour compenser les surcoûts liés au transport.
Cet argent, dépensé pour préserver la compétitivité des entreprises, n'est que peu dirigé vers des projets d'investissements ou la création de postes et d'entreprises, ces projets se partageant moins de la moitié de l'argent européen envoyé vers l'île.
L'objectif de ces fonds européens ne paraît donc pas entièrement rempli. Il semble qu'il manque un lien entre la collectivité territoriale de Martinique (CTM) et les nombreuses petites entreprises présentes sur l'île, qui n'ont pas accès à des cabinets de conseil, ni le temps pour faire ce genre de démarche elles-mêmes, mais qui pourraient vraiment bénéficier d'un financement européen.
Un autre point d'amélioration serait d'écourter les délais pour enclencher une reprise économique plus rapide et soutenir une dynamique dont ont besoin les Martiniquais. Mais sur ces questions, la CTM n'a pas voulu s'exprimer.