Coder dans la vallée: le numérique booste les territoires ruraux
En Ardèche, le Labo.VE, partenaire de l'école Simplon, forme aux métiers du web des élèves en reconversion ou éloignés de l'emploi. La ville du Cheylard mise sur le numérique pour attirer les entreprises et prouver qu'il n'est pas incompatible avec la ruralité.
Au Cheylard (France)
Au printemps ou à l'automne, le paysage serait digne d'un fond d'écran d'ordinateur. Il vaut aussi le détour en fin d'hiver: des maisons au crépis blanc ou beige garnissent à une densité raisonnable le bas de la vallée, dominée, en haut, par une forêt d'arbres encore nus. De l'autre côté de l'Eyrieux, la rivière qui scinde ce corridor naturel, les élèves regardent le paysage les yeux dans le vague. Par la fenêtre, le coup d'œil est plus réflexif que contemplatif, pendant qu'ils travaillent sur le projet qu'ils devront présenter au jury pour valider leur formation, qui s'achève à la mi-avril.
Les quatorze étudiants doivent, chacun, créer une application web complète sur un sujet de leur choix. «Elle comprend à la fois les parties qui s'exécutent dans le navigateur web et sur le serveur, notamment la gestion des données», détaille Patrice Armand, le responsable pédagogique de l'École numérique ardéchoise, une des entités du Labo.VE.
Depuis 2015, cette association œuvre au développement du numérique en milieu rural. Précisément au Cheylard, une commune de 3.000 habitants située dans le nord de l'Ardèche. Elle propose une formation gratuite et diplômante (équivalent bac +2) de développeur logiciel web et mobile, destinée en priorité aux personnes éloignées du numérique.
Les profils des étudiants sont variés: sortie du lycée ou d'apprentissage, en reconversion ou sans emploi. Aucune formation préalable n'est exigée. «La moyenne d'âge est de 28 ans, le plus âgé avait 55 ans. 25% des élèves sont des femmes. On veut augmenter ce chiffre mais des freins persistent: ou elles ne connaissent pas ces métiers, ou elles pensent qu'ils ne sont pas faits pour elles», regrette Marie-Laure Freydier, la responsable opérationnelle.
Dans cette promotion, qui a débuté les cours en septembre, «il n'y avait qu'un seul passionné. Tous les autres étaient des débutants», poursuit-elle. Ce qui, s'ils font preuve d'envie, n'a que peu d'importance. «Beaucoup ont déjà eu une profession avant, c'est un plus. Ils auront une double compétence. Notre but est d'en faire des professionnels avec une culture du numérique la plus large possible», explique Patrice Armand.
Apprentissage du numérique collaboratif
Marie-Noëlle, 42 ans, a longtemps travaillé comme assistante de gestion. Pas vraiment une vocation. «Jeune, on m'a un peu imposé le métier, je ne l'aimais pas tellement.» Ayant toujours eu un attrait pour l'informatique, elle a décidé, à la suite d'un bilan de compétences, de se former comme développeuse web. Après six mois au Lavo.VE, elle «a appris énormément. On ne sortira pas tout à fait compétents, mais on aura une bonne base de travail qui nous permettra de trouver un emploi et finir de se former sur le tas.»
L'École numérique ardéchoise ne s'entend pas comme une «école traditionnelle». Les étudiants apprennent méthodes et théories, mais le responsable pédagogique cherche à stimuler «leur capacité d'apprendre à apprendre, avec des expérimentations». Ce jour-là, il a introduit une nouvelle notion pendant une demi-heure. Puis a laissé les apprentis, répartis par îlot, en autonomie. Certains travaillent avec un écran, d'autres deux. Ils s'interpellent, s'entraident. «Là est le vrai numérique, qui a du sens, collaboratif», ajoute Patrice Armand.
La méthode par projet est une des caractéristiques de l'école Simplon, une entreprise solidaire d'utilité sociale (ESUS) qui forme aux métiers du numérique. Le Labo.VE en est partenaire: Simplon lui met à disposition des supports et des outils pédagogiques. Créé en 2013, l'ESUS s'est rapidement développée, notamment grâce aux subventions –plus d'un million d'euros– issues de plusieurs fonds européens (FEDER, DSE, ITII, IEJ, NEETs). Elle compte désormais 127 fabriques dont celle du Cheylard, implantée dans une des communes les plus modestes avec la ferme volonté de «redynamiser le territoire», assure Marie-Laure Freydier.
Tiers-lieu entrepreneurial
Car au Cheylard, «il n'y a pas que des moutons et des sapins», dit Jacques Chabal. Le médecin de 70 ans, aussi maire, est bavard. Surtout au moment de tirer le fil d'une réflexion qu'il mène depuis sa première élection, en 1989, afin de répondre aux besoins de cette vallée autrefois connue pour son industrie textile et de bijouterie. Il y a vingt-cinq ans, le territoire avait besoin d'un lycée. «C'était un défi de le mettre en zone rurale», se souvient l'édile. Pari réussi.
«Après, on s'est aperçu qu'il manquait un endroit où l'on pouvait se rencontrer, avoir du lien», poursuit-il. Le centre Pôleyrieux, porté par l'intercommunalité du Val'Eyrieux, dont le maire est aussi le président, a ouvert en 2012. Ce tiers-lieu entrepreneurial, qui permet d'intensifier le maillage entre les différents acteurs, héberge une pépinière d'entreprises, le service économie de la communauté de communes, des permanences, un fablab et, donc, l'école de développeurs.
La formation est le symbole du tournant numérique d'un territoire cherchant à attirer ou retenir ses habitants de l'appel des métropoles. Si 78% des élèves du Labo.VE trouvent un travail dans les six mois après l'obtention de leur diplôme, les offres d'emploi sont encore éloignées de la vallée.
Mais le mouvement est lancé. Transformation numérique des entreprises, recours massif au télétravail avec la pandémie… «On observe surtout des gens qui reviennent, moins qui viennent», remarque Morgane Maitrias, directrice de Pôleyrieux, insistant sur la nuance. Mais la présence d'une formation numérique «est un plus pour les entreprises qui s'installent, car elles savent qu'elles ont un vivier sur place». L'École numérique ardéchoise, qui a déjà gagné en visibilité, a encore besoin «d'un coup d'accélérateur», reconnaît Patrice Armand, le formateur.
Changement de statut
Le Labo.VE innove donc. L'association s'est transformée l'an dernier en société coopérative d'intérêt collectif, lui permettant de commercialiser des prestations. Une manière «d'attirer les entreprises, de créer un écosystème autour du numérique et de le rendre accessible à tous», note Marie-Laure Freydier. Elle a aussi ouvert une deuxième formation, de concepteur-développeur d'application mobile en alternance (équivalent bac +4).
Tatiana Gosso, diplômée du premier programme, a continué avec celui-ci. À 40 ans, dont la moitié comme technicienne qualité dans l'électronique, l'Ardéchoise admet qu'au moment de se reconvertir, «la proximité avec l'école a joué». Elle apprécie la formation, regrette «qu'il n'y ait pas encore beaucoup de sociétés du web qui proposent un emploi dans la zone». Mais la présence de l'école peut, à long terme, changer la donne.
L'information, en tout cas, fait son chemin. Le maire Jacques Chabal se rappelle cette grand-mère croisée dans la rue, pourtant pas très branchée numérique. Après le passage de son petit-fils, qui lui avait appris l'existence du Labo.VE, elle avait dit à l'édile: «Il y a une école de codage, maintenant, ici. C'est bien pour les jeunes.» Jacques Chabal en conclut: «En territoire rural, il faut que les gens comprennent ce qu'il se passe, qu'il y ait du lien.» Dans le deuxième bassin industriel d'Ardèche, le numérique en crée.