La ville hongroise de Szombathely revitalise sa base militaire oubliée avec Urbact
En 2015, cette ville de 80.000 habitants a rejoint le réseau Urbact Maps financé par l'Union européenne. Objectif: redynamiser une installation militaire abandonnée à deux pas du centre-ville et en faire un lieu de vie durable.
À Szombathely (Hongrie)
Les bâtiments sont debout mais ne parlent pas. Pourtant, certains lieux sont les témoins du déroulement de l'histoire, à tel point qu'ils racontent le destin de toute une communauté. La caserne des hussards, une base militaire composée d'une trentaine de bâtiments posés sur 22 hectares de verdure dans la ville hongroise de Szombathely, est précisément un lieu comme cela.
Les premiers blocs de cet ensemble de brique rouge remontent à l'époque de la monarchie austro-hongroise du début du XXe siècle, mais ont subi d'importants dommages pendant la Seconde Guerre mondiale, sous l'occupation nazie de la Hongrie. La caserne a ensuite servi à loger l'armée soviétique, qui a ajouté aux ailes existantes des installations sanitaires et une prison militaire, formant ainsi une structure qui répond aux normes militaires les plus strictes. Du jour au lendemain, la caserne a été totalement abandonnée lors du retrait de l'Armée rouge en 1989, ce qui a laissé un vide sur la carte de Szombathely.
Des objectifs trop ambitieux
Après le départ des troupes soviétiques, le terrain de la caserne a été divisé en différentes zones, entraînant une répartition complexe de la propriété. La municipalité a transféré la propriété du bâtiment principal et des blocs de la cavalerie environnants à la Fondation Apáczai, une organisation à but non lucratif à vocation pédagogique.
La fondation, créée dans l'objectif de développer une formation spécialisée interdisciplinaire d'économiste intégrant des cours de droit, d'informatique et de durabilité, avait également des idées révolutionnaires pour développer des programmes d'études à l'encontre d'un enseignement public et centralisé. «Il n'existait aucune publication dans ce domaine lorsque la fondation a eu cette idée», déclare Frigyes Károly, ancien directeur d'école et membre du groupe local de citoyens ayant pris part à la réflexion dans le cadre du réseau Urbact.
L'ancienne présidente de la fondation, Ágnes Paksy, décédée il y a quelques années, a imaginé la création d'un centre éducatif sur le site de la caserne afin de former des enfants et des jeunes à partir de l'école maternelle jusqu'à l'université. À ce moment-là, la fondation a fait inscrire les anciens bâtiments militaires au patrimoine de l'humanité en raison de leur importance historique et de leur valeur artistique.
Cependant, face aux circonstances particulières laissées par les militaires, il est vite devenu évident que le site ne se prêtait pas à l'apprentissage: la saleté, la poussière, la remontée des eaux souterraines et les parois au bord de l'effondrement constituaient autant de menaces pour la sécurité et le bien-être des élèves. «L'endroit était rempli de déjections humaines du sol au plafond», a raconté Sára Kaszap, membre fondatrice de l'organisation.
Lorsqu'elle a réalisé que les objectifs initiaux étaient inatteignables, la municipalité a voulu récupérer la propriété du complexe. La fondation est ainsi devenue usagère permanente du site principal, dont la propriété a été transférée à la municipalité.
En dépit de la simplification du régime de propriété, de la levée du caractère patrimonial des bâtiments et des idées novatrices pour revitaliser le quartier, la municipalité ne disposait pas des fonds suffisants pour lancer un véritable plan de transformation du site. «Aucun acteur local ne disposait des ressources nécessaires pour financer un plan d'action transformationnel, et les investisseurs étaient également difficiles à trouver», explique Tibor Polgár, directeur de la stratégie de West Pannon Hungaria, une société à but non lucratif œuvrant pour le développement régional durable.
Un nouvel élan trouvé grâce à l'Union européenne
En 2018, après avoir pris conscience du fort potentiel de la zone, la municipalité de Szombathely a décidé de rejoindre le réseau Urbact Maps dont l'objectif est de transformer des installations militaires abandonnées en lieux de cohésion de manière concertée avec les citoyens et les acteurs locaux.
Le programme Urbact du Fonds européen de développement régional est présent en Hongrie depuis 2002. Selon Mariann Major Vén, urbaniste senior au Lechner Knowledge Centre, le potentiel de financement des projets qui font preuve de durabilité, d'engagement communautaire et de nécessité de développement urbain est important. Le projet de Szombathely réunissait tous ces atouts.
Tibor Polgár a été nommé coordinateur de projet pour faire une réalité du rêve d'un nouveau quartier vert à Szombathely. Né et élevé à seulement 200 mètres de l'ancienne caserne, il a perçu le projet comme une occasion en or de provoquer un changement radical dans sa ville natale et de rendre service à sa communauté.
Les défis de la planification urbaine
Aboutissement du travail du groupe local Urbact, un plan prévoyant la vente de la moitié du terrain est à des promoteurs immobiliers afin de financer un tiers des coûts de rénovation de la partie ouest de l'ancienne base a vu le jour en 2018.
Le document prévoit la hausse progressive de la hauteur des futurs immeubles depuis les zones extérieures vers le centre, en accord avec la directive municipale sur la préservation du paysage. Le développement comprendrait également la création de petites maisons familiales pour attirer les jeunes couples et les familles dans un nouveau quartier vert et dynamique de la ville de Szombathely.
Tibor Polgár souligne les défis que représente la mise en œuvre d'un tel plan, étant donné les potentiels conflits d'intérêts entre des investisseurs désireux de maximiser la valeur des propriétés et le gouvernement local garant du bien public. Toutefois, le fait que les investisseurs privés aient fait partie, au même titre que la municipalité, du groupe Urbact, laisse Tibor espérer que ces entreprises respecteront le plan d'aménagement du territoire.
Au terme du projet Urbact en 2018, le conseil municipal a d'ailleurs voté un arrêté visant à harmoniser le plan d'urbanisme avec les propositions formulées dans le cadre de l'initiative. Les ventes de biens immobiliers n'ont néanmoins pas encore commencé, car constituer un dossier d'investissement convaincant s'avère difficile dans une ville qui compte un aussi grand nombre de bâtiments vides utilisables.
Des armes aux livres
Le bâtiment principal de la caserne des hussards, qui a été entièrement rénové avant le projet, abrite désormais une école Waldorf où quatre-vingt-six élèves apprennent avec une méthode alternative basée sur la coopération entre les élèves et les professeurs, plutôt que sur des cours classiques.
La philosophie Waldorf amène les élèves à adopter une démarche expérimentale d'apprentissage, en suivant par exemple des ateliers de confection de savons ou de cookies bio. Les élèves gèrent également leurs propres projets de jardinage à l'extérieur du bâtiment principal et ont leur terrain de jeu à l'emplacement de ce qui fut autrefois le lieu d'exercice physique des soldats soviétiques.
Pour Tibor Polgár, la suite du déploiement du plan d'action dépendra de décisions centralisées, prises au niveau national ou régional. Szombathely aurait déjà pu prendre des mesures pour réaliser le plan ambitieux du groupe Urbact en s'appuyant sur le financement de 15 milliards de forints hongrois (38,7 millions d'euros) reçu il y a dix ans. Mais cet argent a servi à construire le nouveau stade du Szombathelyi Haladás, l'équipe de football locale qui évolue en deuxième division hongroise. Et ce, malgré un ancien stade qui faisait très bien l'affaire, selon Tibor Polgár.
Pendant ce temps-là, des visiteurs spontanés ont commencé à revitaliser la zone abandonnée. Le street art et les graffitis témoignent de la présence de jeunes esprits créatifs, et il est impossible de visiter le site sans croiser quelques promeneurs de chiens ou cyclistes. «Chaque fois que je viens ici, de nouvelles portes s'ouvrent, s'enthousiame Tibor Polgár. Je suis ravi que la communauté utilise cette zone.»