Union Is Strength

02.06.2022

Where food meets IT: les technologies alimentaires intelligentes bientôt à l'essai à Lemgo

En Allemagne, la Smart Food Factory, financée par un fonds européen, aura pour but d'améliorer la gestion de la nourriture disponible, notamment en passant à la loupe les aliments et leur mode de production.

Marion Durand (FR) / Gunnar Hollweg (DE) - Traduit par Voxeurop

English version / Deutsche Fassung

Les travaux de construction de la Smart Food Factory, à Lemgo (Allemagne) devraient être terminés d'ici à la fin de l'été
Les travaux de construction de la Smart Food Factory, à Lemgo (Allemagne) devraient être terminés d'ici à la fin de l'été. | Marion Durand

À Lemgo (Allemagne)

Nous vivons assurément dans un monde de contradiction: alors que la famine sévit dans une grande partie de la planète, certaines régions nagent dans l'abondance. À l'échelle mondiale, près d'un tiers des produits alimentaires sont jetés avant même d'arriver à la table des consommateurs. Il en est de même dans les pays de l'Union européenne (UE), où d'énormes quantités d'aliments précieux sont tout bonnement gaspillées.

Cette répartition inégale de la nourriture est désormais aggravée par la guerre entre la Russie et l'Ukraine, qui figurent parmi les plus grands importateurs de blé au monde. Or, l'alimentation de base des pays pauvres, notamment en Afrique du Nord, se compose en grande partie de cette céréale, qu'ils importent en masse des deux pays belligérants. Par conséquent, l'arrêt de la production et des exportations dû à la guerre menace de famine de nombreux pays.

L'ensemble des habitants de la planète pourrait pourtant manger à sa faim. Mais une mauvaise gestion de la nourriture disponible, liée à des processus de production inefficaces, explique cette distribution inégale que l'on observe aujourd'hui partout dans le monde.

Analyser les produits alimentaires

Pour y remédier, des projets de recherche promouvant une production alimentaire intelligente doivent être mis en œuvre. Une de ces initiatives verra bientôt le jour, sous l'égide de la faculté de Lemgo (Rhénanie-du-Nord-Westphalie), l'Université technique de Westphalie orientale-Lippe (Technischen Hochschule Ostwestfalen-Lippe, TH OWL).

Les recherches doivent être menées par la Smart Food Factory, un établissement de production alimentaire intelligente en cours de construction sur le campus. Les travaux sont prévus pour s'achever cet été et, dès l'automne prochain, ce centre devrait commencer ses recherches sur le thème «Where food meets IT» («L'union de la nourriture et de la technologie»).

Le Fonds européen de développement régional (Feder) finance ce projet à hauteur de 10 millions d'euros. Un montant qui comprend la construction des laboratoires, l'achat des équipements et certaines installations d'essai pour les premières expérimentations.

L'objectif de la Smart Food Factory ne sera pas de produire des denrées alimentaires en abondance, mais plutôt de les analyser numériquement à l'aide de démonstrateurs et d'appareils d'essai. Il s'agira donc d'un établissement industriel à petite échelle, qui se portera ensuite candidat à des projets de recherches en fonction des besoins en la matière. Les résultats permettront principalement d'accroître les connaissances dans le domaine des technologies alimentaires. Et dans la pratique, ce programme intéressera au premier chef les entreprises de production alimentaire, qui seront invitées à participer. Ces dernières auront en effet la possibilité de tester leurs propres produits et d'effectuer des analyses comparatives.

Des recherches transparentes et rendues accessibles

«Nous examinerons à la loupe les aliments et leur mode de production, en collaboration avec nos partenaires. Les questions de durabilité, de qualité, de sécurité de la chaîne d'approvisionnement et de rentabilité sont au cœur de nos efforts de recherche», explique Andrea Davis, directrice de projet. C'est avec enthousiasme qu'elle nous guide sur le site de construction, dont elle connaît les moindres recoins.

Andrea Davis, directrice de projet, présente la Smart Food Factory, en cours de construction sur le campus de l'université technique de Lemgo. Elle a pour objectif d'analyser numériquement les denrées alimentaires
Andrea Davis, directrice de projet, présente la Smart Food Factory, en cours de construction sur le campus de l'université technique de Lemgo. Elle a pour objectif d'analyser numériquement les denrées alimentaires. | Marion Durand

Nous pénétrons d'abord dans le hall d'entrée. Cet espace, qui sera lumineux et vitré, dégage déjà une impression d'ouverture en l'état actuel des travaux. «Il est important pour nous d'assurer la transparence de nos recherches et de les rendre accessibles au grand public», souligne Andrea Davis. En ce sens, des ateliers, des conférences et des séances d'information seront organisés à l'avenir. Des espaces de travail partagé seront aussi aménagés.

«Les consommateurs font souvent preuve de scepticisme quand on leur parle de production intelligente. Des aliments intelligents? Et quoi encore, les briques de lait vont bientôt se mettre à parler? Nous souhaitons montrer que la production alimentaire intelligente est indispensable à l'avenir. Ce n'est qu'en invitant les gens que nous pourrons transmettre ce message», poursuit la scientifique. L'ensemble du bâtiment est entouré de larges espaces verts et l'atelier de production, où seront effectuées les recherches, est exposé à la vue de tout le monde.

Miser sur la durée de conservation

C'est une fois dans ce dernier qu'Andrea Davis entre dans les détails. «De nos jours, la production alimentaire consiste principalement à insérer des matières premières dans une machine pour obtenir un produit final. Nous aspirons à changer cela. Nous voulons superviser et appréhender chaque étape du processus de production.» À cette fin, des capteurs permettront de connaître à tout moment l'état des matières premières et des aliments transformés. Les matières à l'état brut, en effet, sont des substances naturelles qui sont différentes en fonction de chaque lot de production.

Or, toute variation peut avoir de graves conséquences sur la qualité du produit, au point que des lots entiers doivent parfois être éliminés. Dès lors, les processus de production doivent pouvoir être adaptés durant l'opération. Ce n'est que de cette façon que les entreprises peuvent être efficaces dans l'utilisation des ressources. En résumé, selon Andrea Davis, on obtient une image numérique du processus de fabrication et on comprend mieux le produit. On peut alors lui donner une tout autre dimension et produire de manière plus intelligente.

La température ou l'accumulation de certains enzymes dans les aliments peut être surveillée, par exemple. De même, des capteurs peuvent être utilisés pour détecter les gaz intervenant dans le processus de dégradation des aliments. Des conclusions peuvent ainsi être tirées sur la durée de conservation d'un aliment donné.

«Nous consacrerons une grande partie de nos recherches à la durée de conservation, précise Andrea Davis. Si on veut réduire le gaspillage alimentaire à l'avenir, nous devrons gérer différemment les dates de péremption. Et si nous pouvons conserver les aliments plus longtemps, les conditions de transport seront également facilitées, ce qui garantira un meilleur approvisionnement des personnes vivant sur d'autres continents. Comme vous le voyez, tout est étroitement lié.»

Lait végétal, substituts de viande

Au milieu des engins imposants et du chantier en effervescence, Andrea Davis nous dévoile les projets qui seront bientôt mis en œuvre à Lemgo. Parmi ceux-ci, mentionnons un système de brassage en continu, où chaque étape de la production de bière, du brassin à la cuve de stockage, fera l'objet d'une surveillance numérique. Les résultats seront utiles pour les maîtres brasseurs et la filière en général.

Nous consacrerons une grande partie de nos recherches à la durée de conservation, précise Andrea Davis. Le projet est financé par la Fonds européen de développement régional
«Nous consacrerons une grande partie de nos recherches à la durée de conservation», précise Andrea Davis. Le projet est financé par la Fonds européen de développement régional. | Marion Durand

Les tendances sociales seront également prises en compte dans la Smart Food Factory. «Nous nous intéresserons particulièrement à la production efficace de succédanés de lait et de viande, et nous l'améliorerons», affirme Andrea Davis. Des recherches sur la production de lait végétal à partir d'avoine, de soja et de pois existent déjà à la TH OWL.

«Concernant la production de lait végétal, la grande question est de savoir comment produire efficacement des protéines à base de végétaux. Les feuilles de la betterave sucrière peuvent nous y aider, par exemple. C'est une piste que nous voulons explorer davantage.» Selon Andrea Davis, la même question se pose pour les succédanés de viande, car la demande augmente aussi énormément dans ce domaine. Des produits de viande réelle sont aussi étudiés à la Smart Food Factory, comme nous le confie la directrice de projet en souriant: «Nous avons une pièce carrelée dans laquelle on pourrait découper un cochon entier, comme dans un abattoir.»

Un autre projet porte sur le degré de maturation des produits de charcuterie séchés à l'air. «Grâce aux ondes ultrasonores, nous pourrons déterminer à l'avenir si un jambon est suffisamment affiné. Ce produit noble doit être dans des conditions optimales pour être livré. Il s'agit là encore d'une question d'efficacité des ressources. Des hôtels de luxe sont souvent prompts à jeter les produits carnés qui ne sont pas d'une qualité irréprochable.»

Lemgo est appelée à devenir un pôle scientifique attractif dans le domaine des technologies alimentaires intelligentes. Dans cette période marquée par la rareté et le coût élevé des denrées, ces technologies seront indispensables à une gestion durable et efficace des ressources alimentaires.

Union européenneCet article est réalisé dans le cadre du concours Union Is Strength, organisé par Slate.fr avec le soutien financier de l'Union européenne. L'article reflète le point de vue de son autrice et la Commission européenne ne peut être tenue responsable de son contenu ou usage.